Le blog de Pat Lagachette

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jeudi 3 novembre 2016

Chanson Douce- Leyla Slimani (4,5/5)

Chanson douce. Une fable tragique.

J’annonce la couleur. C’est vraiment un très grand roman.
Les trois premières pages vous giflent d’emblée. En fait, je devrais dire, les 4 premiers mots. Comme dans l’étranger de Camus. Violents, terribles, insupportables.
Louise, nounou à Paris a tué les deux bambins dont elle avait la garde. Les 224 autres pages vont apporter l’éclairage à cet épouvantable drame. Mais attention, ce n’est pas du tout un roman policier. D’ailleurs on sait tout de l’affaire dés le début du livre. Un monstre, d’innocentes victimes, une famille dévastée.

Sauf que…Leila Slimani va ici nous raconter avec maestria l’histoire de Louise. Elle va s’attacher à nous livrer qui est cette non personne, cette simple bonne, cette …invisible. Comment la vie a brisée ce petit bout de femme frêle et timide, veuve d’un tyran domestique, mère-enfant d’une fille perdue à l’adolescence. Louise, qui n’a plus de vie. En a-t-elle jamais eu ?
Leila nous dépeint, au delà du fait divers, les dérives de notre société, dans ces rapports dominants-dominés. On pense aux bonnes de Jean Genet (l’affaire papin), mais ici, la dérive dans la folie de Louise est d’un autre ordre. Il ne d’agit pas non plus d’excuser naïvement un monstre, mais de comprendre comment une femme peut en arriver à une telle extrémité en pointant du doigt les travers de nos relations de classes, et de subordination.

La construction est très intelligente, avec une tenue en haleine continue, pour nous amener à comprendre, avec empathie, le lent basculement, inexorable, de louise dans la folie meurtrière. Elle, si douce, si aimante avec les enfants, pleine d’abnégation, discrète et travailleuse. Que c’est il passé dans sa vie ? Que c’est il passé dans sa tête ?

Le style ne m’a pas embarqué dans les premières pages. J’étais un peu sur ma réserve, dubitatif. Il me semble qu’un livre est surtout intéressant de par la forme. Ce qu’on demande à un écrivain, c’est qu’il raconte une histoire, mais avant tout, qu’il la raconte bien. Apres qu’il parle d’une chasse à la bécasse ou d’un tueur sadique, personnellement c’est secondaire. Je préfère un roman qui parle de l’histoire de la pantoufle, mais raconté avec talent, que d’une histoire magnifique mais écrite avec les pieds. Et des livres qui ne mériteraient que la poubelle, il en sort à foison tous les mois. Trop.

Mais Leila Slimani sait où elle veut nous amener. On gravit en sa compagnie un escalier douloureux, doucement. Ou plutôt, on le descend, en s’enfonçant dans l’âme de Louise. Et quand l’auteur sort un peu du fait divers pour lâcher son écriture, et élargir notre vision, cela devient réellement magnifique.
« Les squares, les après-midi d’hiver. Le crachin balaye les feuilles mortes. Le gravier glacé colle aux genoux des petits. Sur les bancs, dans les allées discrètes, on croise ceux dont le monde ne veut plus. Ils fuient les appartements exigus, les salons tristes, les fauteuils creusés par l’ennui. Ils préfèrent grelotter en plein air, le dos rond. C’est au milieu de l’après midi que l’on perçoit le temps gâché. A cette heure où l’on a honte de ne servir à rien. »

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