Bruce Springsteen- L’ombre du père (My father’s house)
Soyons aussi clair que direct. Si vous n’aimez pas Springsteen, qu’il
n’est à vos oreilles qu’un rockeur braillard parmi tant d’autres, que le
rock, la soul, et la musique en général ne sont pour vous au mieux,
qu’un fond sonore pour la voiture les jours de départ en vacances, qu’un
moyen de transpirer sur de la zumba, que vos stars sont plus proche de M
Pokora ou de the Voice (et c’est votre droit le plus indiscutable ), ce
livre de 620 pages n’est à priori par pour vous. Et puis me direz-vous,
après tout, pourquoi lire une énième biographie de rockeur comme on en
trouve par dizaines dans les Fnac, ou dans les supermarchés pour les
fêtes de fin d’année. Surtout si le rockeur en question vous parle tout
autant que Led zeppelin pour Franck Ribéry
.
Eh bien, pour au moins trois bonnes raisons ma bonne dame !
La première, est que ce livre est…. très très bien écrit !
Fait plus que rare dans ce domaine. J’ai lu de nombreuses bio sur le
boss, Mais les bios, dans leur très grande majorité, sont TRES mal
écrites. Ce sont quasiment toujours des « nègres » qui les produisent à
partir d’interview, de sessions d’enregistrement faites à la va vite en
quelques rendez vous organisés par les maisons d’éditions. Des bouquins
de commande, ou pire, rédigés par des fans auto-satisfaits à partir de
ces mêmes bios. Bref, pas plus d’intérêt littéraire que les
Inrockuptibles ou Télérama. C’est-à-dire pas de forme, et très peu de
fond. De l’inventaire.
Là, Bruce a réellement écrit. Il a remplit
minutieusement de petits carnets pendant des années, comme une thérapie,
couchant ses angoisses, ses souvenirs, ses réflexions. Même si Il admet
honnetement avoir été un peu aidé pour livrer une production propre, en
professionnel qu’il est, avec de la construction et le recul
nécessaire, de l’écrivain qu’il n’est pas. Mais pas de doute, à la
lecture, on respire ici ce qui est rare : l’authenticité. Ce n’est pas
du Dostoïevski, ni du Steinbeck, mais c’est vraiment très bien écrit. Le
rythme est bien entretenu, l’écriture directe et agréable, sans
verbiage prétentieux, avec de très belles analyses psychologiques sur
son entourage et surtout de sa relation avec son étrange paternel.
La deuxième raison, c’est que Springsteen nous livre un portrait
passionnant de l’Amérique des années 50 à nos jours, du point de vue
musical via la naissance du rock avec Elvis (hilarant) au hip hop en
passant par le punk, le doowap ou la pop, l’assassinat de Kennedy, la
lutte des droits civiques, la guerre du Vietnam jusqu’à ce triste 11
septembre 2011 qui le fera accoucher de « The raising ». Ce portrait est
souvent savoureux, très drôle, mais aussi lucide et sans concession,
comme quand il se met à dos la corporation policière de NYC en prenant
parti pour la cause noire. On a vraiment l’impression d’être avec un
pote qui nous raconte son aventure devant une bonne bière. Ce livre
c’est une soirée entre amis qui se termine tard et où, l’alcool aidant,
on se laisse aller aux confidences les plus intimes., voir les plus
trashs.
Tertio, et c’est pour moi l’aspect le plus important,
l’histoire et l’analyse de sa relation très difficile avec son père,
dépressif et alcoolique, qui amènera le boss à des dizaines d’années de
psychanalyse et finalement avaler des kilos d’antidépresseurs. L’artiste
nous livre tout, et c’est parfois violent, sur cette relation qui
expliquer sa course à l’autodestruction, sa fuite du bonheur et, ce que
personnellement je ne me doutais pas, l’emprise de l’alcool, ses soirées
tardives à écumer bars et les filles d’un soir. Bref un homme, comme
les autres, pleins de démons.
Bruce Springsteen n’est pas un
écrivain. C’est un Songwriter merveilleux qui mieux que personne à su
décrire son Amérique ouvrière, désabusée, avec ses travers, ses espoirs
et ses désillusions. Il est mon plus grand héros rock’n roll, la bande
son de ma vie. C’est un musicien de légende, un guitariste exceptionnel
une bête de scène incroyable à l’énergie explosive, un artiste humble,
unique mais …certainement pas un écrivain. Cependant…
Ce livre,
très agréable à lire, apporte un éclairage très neuf sur le bonhomme
Springsteen, ses dépressions, ses colères, sa relation à l’argent et à
la gloire, mais avec pudeur, sans règlement de compte, les comptes il
les règle ici mais avec lui-même, et il ne se fait pas de cadeau. C’est
histoire d’un homme hanté par son passé, son enfance compliquée, ses
frustrations, son combat pour survivre à tout ça, sa difficulté à aimer
et à ne pas blesser ceux qu’il aime. Car un jour où l’autre, tout homme
se réveille, et il est devenu son père.
« On honore ses parents
en essayant de transmettre ce qu’ils avaient de meilleurs, tout en
faisant en sorte de se délester du reste. On affronte et on apprivoise
les démons qui les ont minés, et désormais vivent en nous. C’est tout ce
qu’on peut faire…si on a de la chance. »
« Une nuit j’ai fait ce
rêve, Je suis sur scène, ca se passe super bien. Mon père, mort depuis
longtemps est assis tranquillement sur son siège. Et puis, je suis
agenouillé à ses cotés, et tous les deux, on regarde le type déchainé
sur scène. Je lui touche le bras et je lui dis, lui qui est resté
paralysé des années par la dépression : Regarde papa, regarde…ce gars
sur scène, c’est toi, c’est comme cela que je te vois. »
Je
remercie un million de fois Armelle, ma fiancée de m’avoir offert ce
livre. Elle ne se doute pas à quel point j'y ai trouvé des raisonnances
salvatrices avec ma propre vie, mes propres démons.. Comme de la
résilience. J’ai perdu mon père il y a peu, c’est encore excessivement
douloureux, c’était mon héros. Pour diverses raisons, Je n’ai pas pu le
pleurer comme il l’aurait mérité, j’en porterais la culpabilité le reste
de mes jours. Je n ‘ai même pas eu le temps d’être triste. Depuis les
larmes coulent de mes yeux, au compte goutte, comme un tonneau trop
vieux, craquelé, fendillé et qui fuirait doucement pour ne pas exploser.
Toutes ses larmes que j’aurais du verser .Tous les jours, tous les
jours, des larmes perlent à mes paupières, quand je roule en voiture,
quand je vais à la poste, quand je lis, quand je me douche, quand je
dors, quand je ris. Quand je me souviens.
Springsteen est mon
idole rock n roll. Ses textes comme sa musique résonne dans mon être
comme si cela avait été fait pour moi. Mais, Je n’aurais jamais cru,
qu’un jour, un livre (moi qui les aime tant) m’aiderait à surmonter tout
cela. Et que ce livre serait écrit par Springsteen lui-même.
Merci.Juste , merci.